Publié le 17 juin 2015 - Par la rédaction

Big Data et création de programmes : pourquoi les médias ne s’y mettent pas vraiment

Barbara Chazelle, responsable de projets à la Direction Stratégie et Prospective de France Télévisions, revient sur le débat Big Data et contenu au travers d’un excellent article publié sur le blog Méta-Media. Nous vous invitons à le découvrir.

Le sujet du Big Data impacte depuis plusieurs années tous les secteurs, chacun essayant de s’organiser au mieux pour tirer profit de cette nouvelle mine d’or que sont les informations relatives aux comportements des consommateurs. Les acteurs des médias ne sont pas épargnés par cette problématique, et tâtonnent eux aussi pour collecter mais surtout trier et donner du sens à ces données.

Si les Big Data sont déjà utilisées notamment par les régies et les équipes marketing afin de mieux cibler les publicités ou de recommander des programmes de manière plus pertinente au public, qu’en est-il aujourd’hui de l’utilisation des données dans les étapes de création d’un programme ?

Si l’on en croit Sahar Baghery (Médiamétrie), François Couton (Canal+), Emmanuel Durand (Warner Bros) et Marie-Anne Robert (Believe Media Studios) interrogés par le MédiaClub et Accenture sur le sujet ce mercredi, les personnes en charge des contenus restent frileux à intégrer les data dans leur processus de création. Quelques pistes d’explication.

 

Manque de compétences :

Premier constat, les entreprises ne sont tout simplement pas prêtes la plupart du temps et manquent de compétences en interne.

« C’est plus facile de travailler sur un produit fini. C’est pourquoi c’est plutôt en aval de la chaîne de production qu’on va trouver les exemples les plus aboutis de l’utilisation de la data » selon Emmanuel Durand. « Netflix est l’une des rares sociétés à réussir à bien utiliser la data. »

De manière générale, ce n’est pas la masse de données qui manque, mais plutôt la capacité de les analyser.

« Avant on avait des statisticiens, maintenant on va plus vers des profils ingénieur, qui savent coder pour traiter de gros volumes de données  » a confié François Couton.

Mais il ne suffit pas d’arriver à faire venir ces nouvelles perles rares que sont les « data scientists » dans les médias :

« Il faut les infiltrer à tous les niveaux ; il faut démystifier les algorithmes au sein de l’entreprise. [… ] La data peut être un moyen de créer des ponts en interne entre une vision client et une vision éditeur : la data c’est le sang dans le corps mais pas le cerveau » a ajouté le Directeur Finance et Performance Distribution de CANAL+.

La tentation de vouloir avoir un retour sur investissement rapide est à fuir : appréhender les data et son corollaire, adapter les processus industriels, tout cela prend du temps, et plus encore dans une logique de création.

Pour les décideurs, courage et patience sont de rigueur.

 

Un risque pour la créativité :

Chez Believe Media Studios par exemple, on utilise des détecteurs de buzz sur une centaine de plateformes pour repérer et récupérer les talents le plus tôt possible. Certaines solutions ont été développées en interne, d’autres par des sociétés extérieures.

« On ne reçoit plus de maquette, on regarde le taux d’engagement sur Youtube, Deezer…, a avoué Marie-Anne Robert. Si on prend « Fauve » et « Christine and the Queens », gros succès de 2015, les maisons de disque n’ont pris aucun risque. Elles n’ont été qu’un accélérateur de buzz. »

« On a modernisé les panels : on va tester le contenu sur YouTube et quand on aura le produit fini, on aura déjà une audience » a-t-elle ajouté.

Rassurez-vous néanmoins :

Pour François Couton « la data ne va pas remplacer le travail de création mais elle va accélérer le processus de décision, va donner des outils pour affiner et accélérer le processus de décision. »

Quant à Emmanuel Durand, il ne croit tout simplement pas à l’écriture d’un programme avec les data.

« La surprise est un élément constitutif du storytelling ; la data ne permet pas la création de rupture. » a-t-il précisé.

 

Un risque pour la diversité des contenus ?

Pour la Directrice du pôle Formats & Contenus TV Internationaux de Médiamétrie, le risque du Big Data c’est d’enfermer le public dans ce qu’il a l’habitude de consommer en ne lui proposant que des contenus qu’il aime et auquel il s’attend.

Cette crainte est sans doute à nuancer. D’une part, parce que si tout le monde fait la même chose en se basant sur les mêmes données, on va vite avoir un problème de différenciation de l’offre. Ce qui fait affirmer à François Couton qu’il « faudra toujours une prise de risque au niveau de la création. »

D’autre part, et c’est le point le plus important sans doute, la donnée en tant que telle est neutre. C’est notre manière de la comprendre et de l’utiliser qui va lui donner de la valeur. On peut donc choisir d’analyser des données pour s’engouffrer dans les tendances fortes du moment et surfer sur les vagues de buzz ou au contraire, essayer de détecter les signaux faibles et faire ce que personne d’autre ne propose. Ce choix stratégique ne sera jamais aux mains d’un algorithme !

 

Pas si facile de bien vouloir laisser la main au public :

Bien entendu, « le fait de questionner le public sur ce qui va plaire ou pas, ne date pas d’hier ; les focus groupes ont été largement utilisés pour développer un contenu. » a rappelé Sahar Baghery.

 « La data c’est la primauté de l’individu, du public, sur le contenu. C’est pourquoi le sujet est un peu tabou particulièrement en France, car les professionnels ne veulent pas laisser la main. » a déclaré Emmanuel Durand.« La ligne de fracture c’est la capacité pour des décideurs de laisser la décision au public. »

Il ne suffira pas de pouvoir, il faudra aussi le vouloir !

 

Vous pouvez consulter le replay de ce débat en cliquant sur ce lien.

 
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