Vous connaissez Monsieur le Professeur Daniel Sabatier, et vous lui avez rendu un hommage mérité, mais moi j’aimerais vous parler de Daaany Chabetai, et je dis bien Daaany et pas Dany et Chabetai, c’est-à-dire, né un samedi (jour de congé bien sûr).
Eh oui, il est né un samedi au Caire Egypte au sein d’une famille judéo-gréco-ottomane, mais heureusement grâce au Général Bonaparte il disait papa-maman-pipi-caca en français : je dis bien heureusement sinon il ne serait pas ici aujourd’hui, mais dans un autre coin du monde et ce serait dommage pour toutes ces belles étudiantes et ex-étudiantes qui nous entourent…
Jusqu’à présent j’ai fait le gros effort de ne pas parler de moi, mais à partir de maintenant je vais vous raconter l’histoire de 2 petits juifs d’Egypte qui rêvaient de Paris, de Sartre et de Montherlant (pour être précis, lui de Sartre et moi de Montherlant) et qui rêvions de les réconcilier. Tâche impossible, car nous ne savions pas encore que Sartre ne s’intéressait qu’aux jeunes filles et Montherlant qu’aux petits garçons !!!
Enfin revenons plutôt au couple Maurice et Dany (Maurice c’est moi)
2 grandes capitales et 3 lieux mythiques ont balisé notre histoire commune, notre destin. Les capitales sont Le Caire et Paris, l’orient et l’occident et les 3 lieux mythiques sont le Mex à Alexandrie, Mulhouse en Alsace et maintenant Sommières dans le Gard
Commençons par le Mex, quartier d’Alexandrie où nos mères nous avaient inscrits au camp scout pendant l’été 1953.
Les amoureux racontent toujours le lieu où ils ont échangé leur premier baiser.
Pour Dany et moi, le Mex à Alexandrie est le lieu où nous avons échangé (en tout bien tout honneur) notre premier Dos contre Dos assis.
Attention, pas d’allusion grivoise, il s’agit de 2 petits garçons de 12 ans et 13 ans assis dos contre dos pour pouvoir surveiller à 360° l’arrivée des vilains kidnappeurs (le kidnapping était un bizutage obligatoire chez les éclaireurs de France).
C’est là que terrorisés et sous la lune s’est scellée notre amitié éternelle. Une amitié de style anciens combattants… ou plutôt anciens combattus.
C’est là que nous avons pris conscience de notre fragilité dans ce monde impitoyable et que l’amitié et la fuite sont parfois les seules solutions …
Maintenant le Caire, ville de notre naissance et des 2 lieux qui nous ont formés : le lycée français et les bordels du Caire.
Nous avons même été dépucelés le même jour et par la même fille :
Ah la fameuse rue Soliman Pacha qui reliait nos 2 appartements avec le cinéma Radio au milieu, lieu de –
nos rendez-vous quotidiens et ensuite les interminables (je t’accompagne, puis tu me raccompagnes, puis je t’accompagne puis tu me raccompagnes) : il était très difficile de se quitter.
Mais le hic c’est l’appartement de Dany rue Champollion avec vue au-dessus du cinéma Miami : cinéma en plein air qui donnait de superbes films français.
Et notamment « le Fruit Défendu » film où Françoise Arnoul montrait son sein gauche à heure fixe, encore un rendez-vous que nous ne rations jamais et à toutes les séances !
Heureuse époque où l’on pouvait encore au Caire voir un sein nu de femme au cinéma : je crois qu’aujourd’hui cela serait complètement impossible.
Mais assez parlé d’Alexandrie et du Caire, et faisons un saut de 7 – 8 ans et nous voilà à 20 ans à Paris (et je ne dirais pas que c’est le plus bel âge de la vie).
Dany employé de bureau chez Monsieur Florentin et moi au lycée Lakanal en math Elem se posant des questions sur notre avenir.
La phrase obsédante de ma mère qui me disait tous les jours »tu seras ingénieur mon fils » me revint brusquement.
Alors j’arrache Dany à Monsieur Florentin et à ses interminables additions de gratte papier et un train de nuit nous amène à Mulhouse Alsace, puis à l’hôtel Zumsteg.
Puis rue de Tunis chez Madame Hild qui nous disait « pas de femme chez moi » et enfin à la Filasse où ensemble face au père Braun nous limions à la bâtarde des queues d’aronde pour devenir ingénieur textile (excusez les termes techniques).
Mais Mulhouse ce fut surtout le moulin d’Eichenwiller.
Où un dimanche après midi il rencontra la belle Edith, sa femme éternelle qui l’a toujours porté et même parfois supporté, (moi aussi j’ai rencontré la mère de mes 3 enfants à Mulhouse ).
Et après différentes péripéties dont je vous fais grâce,l’employé de bureau est devenu enfin le prof à la Sorbonne qui est devant vous ici.
A partir de cette époque, nos destins se séparèrent provisoirement.
Lui au quartier latin et au Parti Communiste cheveux flottants sur les épaules rêvant de Cuba et de Révolution.
Et moi en province, raie sage sur le côté, cadre d’entreprise, construisant patiemment les trente glorieuses dont vous profitez aujourd’hui …
Première période, lui à gauche et moi à droite pendant 15 ans.
Et puis heureusement le fameux DESS ( vous connaissez n’est ce pas ) lui met enfin les pieds sur terre, alors que moi crise de la quarantaine oblige je rêve de jeunesse éternelle en lisant Libé !!
Deuxième période, moi à gauche et lui à droite pendant encore 15 ans
Etrange chassé croisé, drôle de zig zag ( mais l’alternance c’est la base de la démocratie n’est-ce-pas ?)
Et enfin 30 ans après, nous voilà tous les 2 plein d’expérience , de sagesse et enfin apaisés sur le bord du Vidourle à Sommières.
Enfin, je voudrais finir par Sommières, petit village entre les Cévennes et la mer où il oublie les fastes de Bali et de Katmandou.
Oublié les hôtels de luxe, les temples bouddhistes , les 10 heures d’avion et les cocktails sur la plage.
A Sommières nous retrouvons les odeurs du Caire, sa lumière, sa chaleur et même les passants ont parfois la même tête !!
Et la boucle est enfin bouclée.
Il faut dire aussi que la belle Edith est en train de lui construire une maison magnifique.
Alors tous les après-midi à 16 heures après la sieste, nous avons rendez-vous au café sur le bord du Vidourle (c’est le Nil local) et nous parlons, nous parlons, nous parlons, nous parlons,
de la politique, de la civilisation occidentale, de l’avenir d’Israël, de l’Egypte, et de ces 2 petits apatrides qui sont devenus de bons français, des fonctionnaires, de Sarkozy, du PS qui est dans la merde, des universités en déroute etc. etc.
Et sans oublier de parler des enfants ….. CAR VOUS ÊTES SES ENFANTS
Maurice Douek